QDN juin 2022: Le gérant ou l’administrateur de société

QDN juin 2022: Le gérant ou l’administrateur de société

Lorsqu’un gérant se trouve dans une situation financière compliquée, doit-il se diriger vers le règlement collectif de dettes ou les procédures de faillite et de réorganisation judiciaire ?

Cette question, qui divise la doctrine depuis quelques années, a été en partie tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 mars 2022.

Retour sur la genèse de la controverse et explications

Avant le 1er novembre 2018, il fallait ne pas avoir la qualité de commerçant au sens de l’article 1er du Code de commerce pour pouvoir aller en règlement collectif de dettes. Un gérant de société ou administrateur de société n’était pas un commerçant et pouvait donc bénéficier de cette procédure.

Depuis la réforme du droit des entreprises de 2018, la notion de « commerçant » a disparu au profit de celle d’entreprise.

Par conséquent, pour être admis en règlement collectif de dettes, il faut :

– Ne pas être une « entreprise » ;

– Ou avoir cessé de l’être depuis au moins 6 mois lorsque le juge rend sa décision quant à l’admissibilité, ou après la clôture de la faillite si « l’entreprise » a fait faillite.

Mais qu’est-ce qu’une entreprise ?

L’article I.1, 1° du Code de droit économique définit l’entreprise comme : « chacune des organisations suivantes : (a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant ; (b) toute personne morale ; (c) toute autre organisation sans personnalité juridique ».

En ce qui concerne la personne physique, il existe deux conditions cumulatives :

– Être sous statut d’indépendant (et non salarié), même à titre complémentaire ;

– Exercer une activité professionnelle, c’est-à-dire l’exercice régulier d’une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l’existence, à l’exclusion de la gestion normale du patrimoine personnel (comme la souscription, l’acquisition ou la détention d’actions, de titres ou de parts dans une société).

Les titulaires d’une profession libérale, les artisans et les commerçants sont donc des entreprises.

Attention toutefois que si la personne physique exerce son activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l’existence mais ne perçoit pas effectivement de rémunération (si par exemple, la société est en difficultés), elle revêt quand même la qualité d’entreprise.

Qu’en est-il du gérant d’entreprise ou administrateur de société ?

En cas de mandat à titre gratuit, il ne s’agit pas d’une entreprise (car le mandat n’est alors pas une activité professionnelle). Le règlement collectif de dettes est alors possible.

En cas de mandat rémunéré, les avis étaient partagés. Il y avait plusieurs courants dont deux grands courants jurisprudentiels.

Dans le premier courant, on estimait que pour avoir le statut d’entreprise, il fallait avoir une organisation personnelle, structurée et stable. Pour le gérant ou mandataire, il fallait donc un agencement de moyens personnels et matériels distincts de la personne morale.

Dans le second courant, le gérant ou administrateur à titre rémunéré était une entreprise étant donné que l’activité était exercée sous le statut social d’indépendant et constituait une activité professionnelle en vue de lui procurer un revenu. Selon les partisans de ce courant, l’ajout du critère d’organisation professionnelle n’était pas correct car non prévu dans la loi.

Arrêt de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 18 mars 2022, la Cour de cassation tranche la question en faveur du premier courant. Elle estime qu’une personne physique n’est une entreprise « que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’existence d’une activité professionnelle à titre indépendant. Il s’ensuit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise ».

Il faut donc une organisation propre indépendante de celle de la société pour que le gérant ou administrateur soit considéré comme une entreprise et puisse faire faillite. Dans le cas contraire (ou s’il s’agit d’un mandat à titre gratuit), il aura accès à la procédure de règlement collectif de dettes.

La question semble donc tranchée.

Mais qu’entend-on par organisation propre ?

La notion d’organisation propre indépendante de celle de la société n’a pas de définition légale et risque en fait de créer de nouvelles discordes. La controverse n’est pas terminée.

On peut toutefois identifier quelques critères suite aux décisions rendues par les juridictions qui suivent le premier courant depuis quelques années :

– Le gérant ou administrateur a-t-il une structure propre, indépendante de celle de la société?

– A-t-il une comptabilité propre avec d’autres rentrées d’argent que celles rapportées par son mandat ?

– Engage-t-il du personnel propre, différent de celui de la société ?

– S’est-il engagé comme caution pour la société ?

– A-t-il souscrit à des crédits personnels pour son activité ?

– Est-il mandataire de plusieurs sociétés ?

Il faut toutefois préciser que le cas tranché par la Cour de cassation était particulier puisqu’il s’agissait d’un pensionné avec des problèmes de santé, sous administration provisoire et gérant d’une société immobilière dont il tirait des revenus modiques via des loyers appartenant à la société. Il y avait donc une activité professionnelle réduite. On peut, dès lors, se demander si cet arrêt est représentatif de la majorité des gérants d’entreprise et si la Cour a vraiment souhaité rendre un arrêt de principe.

Depuis cet arrêt, plusieurs décisions ont été rendues dans le sens de la Cour de cassation.

Une réforme législative est actuellement en cours et on espère qu’elle clarifiera les choses.

En pratique

A l’heure actuelle, en attendant plus de précisions, il est conseillé au médiateur qui se trouve face à un débiteur souhaitant introduire une procédure en règlement collectif de dettes d’expliquer dans la requête, de manière détaillée, en quoi consiste l’activité de gérant ou administrateur. Il est nécessaire de noter tous les éléments connus pour que le juge du travail apprécie lui-même son admissibilité au regard de la notion d’entreprise. L’appréciation se fera au cas par cas.

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